Veillées bretonnes
"Voici une bonne nuit pour écouter des contes merveilleux et des histoires de revenants, auprès du feu. Il pleut, il fait un vent de diable ; la girouette grince et piaule, au sommet de la tourelle ; le vent s’engouffre dans la cheminée et fait gémir la charpente du manoir ; la pluie fouette et bat les carreaux des fenêtres, comme un importun qui voudrait entrer ; les sorcières doivent passer dans l’air, à cette heure, enfourchant leurs balais et se rendant au sabbat, au carrefour de la grand’lande… Serrons nos rangs autour de ce bon feu qui flambe et qui pétille, dans le vaste foyer de la cuisine, et prêtons une oreille attentive aux récits de Garandel. Il trône fièrement sur l’escabeau du conteur ; il vient de donner son premier assaut à son écuellée de cidre doré, puis il commence…."
Avec les Veillées bretonnes, publiées en 1879, Luzel donne sa première grande œuvre dans le domaine du conte, et, liant conte et chant, histoires de fantômes et contes fantastiques, s’efforce de revenir aux sources de la mémoire, à ce moment magique de la transmission.
Pratiqué jusqu’à la fin de sa vie, le genre de la veillée lui a permis d’écrire bon nombre de ses meilleurs textes, parfois laissés épars, voire inédits. Nous les avons rassemblés dans les Nouvelles veillées bretonnes qui trouvent ici leur accomplissement.
Nouvelles veillées bretonnes
Le genre de la veillée occupe une place très particulière dans l’œuvre de Luzel : intermédiaire entre le conte et le roman, la veillée suppose une mise en scène, un appel à la complicité du lecteur qui essaie de se placer en imagination dans une ferme de Bretagne, un soir d’hiver, et fait des récits rapportés les fragments d’un temps vécu, liant la vérité profonde et variable du conte à la nuit, au feu, au froid dehors, aux nouvelles du monde que donne l’un ou l’autre. Il y a là une manière de revenir à l’origine du conte, et, pour Luzel, d’aller vers cette nostalgie de l’instant perdu, cette impossibilité de coïncider avec ce qui était si simplement donné dans l’enfance, qui ont accompagné tout son travail de chercheur.
Les veillées que nous donnons ici sont des textes qui étaient jusqu’alors perdus, soit restés manuscrits, soit oubliés en d’anciennes revues. Ils apportent une tonalité plus fantaisiste aux contes recueillis par Luzel et nous permettent tout à la fois de l’approcher de plus près et de mieux comprendre cette part obscure qui liait pour lui le conte et le chant.
On découvrira aussi l’étrange peuple des êtres invisibles d’une paroisse du Trégor : le diable de Guernaham, le lutin de Guernachanay, le barbet noir de Pont-ar-C’hastel, et les demoiselles blanches qui aiment à étaler leurs trésors près des fontaines, les fées scarabées, les chats menant sabbat, les lavandières de nuit, les âmes en peine, les diables et lutins divers dont on apprend ici les mœurs curieuses.
Né au manoir de Keramborn, François-Marie LUZEL se prend très tôt de passion pour le théâtre populaire joué depuis des siècles dans son Trégor natal. Ayant édité le 'mystère' de Sainte Tryphine et le roi Arthur, il obtient en 1864, grâce à l'intervention de Renan, une mission qui l'amène peu à peu à collecter l'essentiel du patrimoine de la littérature populaire bretonne, aussi bien dans le domaine du conte que du théâtre ou de la chanson : ainsi peut-il dire avoir fait pour la Bretagne ce que les frères Grimm ont fait pour l'Allemagne. Encore en bonne partie inédite, cette 'uvre d'une ampleur peu commune est à redécouvrir