Théâtre
La valeur d’une œuvre se mesure peut-être à son aura : à l’influence permanente qu’elle exerce sur les autres, à son pouvoir de lier les âmes sœurs et au dialogue ininterrompu né de sa contemplation. Mary Rose est bel et bien un mystère, qui, de nos jours, fait encore couler l’encre — le sang de l’esprit. Voilà une vérité simple, comme l’est celle tenue au secret par Peter Pan, l’enfant sans mémoire — que Mary Rose rencontra jadis sur son île… Mais est-ce une histoire de fantôme, une fable métaphysique ou les pensées clandestines d’un homme endeuillé et orphelin de ses rêves ? Sir James prétendait lui-même ne point connaître la signification de cette pièce serrée contre le cœur pendant plus de quinze ans. Indéniablement, il y a quelque chose d’intarissable dans cette œuvre ; et ce n’est donc pas un hasard si Hitchcock fut hanté par Mary Rose. Il ne put jamais, hélas, la porter à l’écran, mais son écho tremblant court dans plusieurs de ses films — notamment Vertigo et Marnie. Sir Alfred avait, semble-t-il, déchiffré l’un des messages de cette pièce quasi inédite en France : « […] si les morts revenaient, on ne saurait absolument pas quoi faire d’eux ! » Cette déclaration fait suite à celle de Barrie — elle aussi sans appel : « Ceux qui sont partis ne devraient jamais revenir, quelle que soit la force avec laquelle ils ont été aimés. » Pourquoi ? Parce qu’en bon lecteur d’Ibsen, James Matthew Barrie n’ignorait point cette douloureuse vérité humaine : « Presque tout le monde se fait grand pour pleurer devant un mort. Mais combien de temps croyez-vous que cela durera ? » (Le Canard sauvage).
Oui, combien de temps ?
Le temps que met une larme pour tomber à terre.
Les débuts de James Matthew Barrie dans le journalisme furent couronnés par la parution, sous un pseudonyme, de Quand un homme est célibataire (1888). Mais son premier succès fut Le petit Ministre (1891), suivi de trois autres romans de mœurs écossaises : Ogilvy (1896), Tommy le sentimental (1896) et Tommy et Gritzel (1900), dans la tradition de Charles dickens. Barrie appliqua avec succès au théâtre son inspiration fantaisiste : L'Admirable Crichton (1903), caricature les hiérarchies sociales et son œuvre la plus populaire Peter Pan ou le petit garçon qui ne voulait pas grandir (1904), évoque le monde de l'imagination enfantine. Mais l'univers enchanté qu'il avait inventé se transforma peu à peu en un autre plus douloureux, dans les romans qu'il écrivit après la première Guerre mondiale.
On dit de Barrie qu'il était un « Peter Pan » vieilli, inconsolé de son enfance.