Et dire que certains pensent que la Sarthe est un département comme les autres. Que la Sarthe n'est qu'une rivière de deuxième magnitude. Que la Sarthe n'est que la marche un peu bancale de l'escalier qui descend des pouvoirs énarchiques de l'Ile de France vers les duchés historico-touristiques de Normandie, d'Anjou et de Bretagne.
Fi des lieux communs et de l'exégèse de surface, fi du touriste pressé ou de l'historien myope, et choisissons la vérité profonde, la psychanalyse fine, bref la réalité.
Et la réalité, c'est bien que de tous les fleuves, la Sarthe est le plus intelligent, celui qui draine la meilleure poésie. Certes, la Sarthe ne reflète pas ces joyaux que sont les châteaux de la Loire mais c'est là seulement la preuve que la Sarthe n'a pas besoin de bijoux pour se faire belle. Certes, elle ne rugit pas entre ses berges comme le Rhône ou la Durance mais elle a parfois des mauvaises humeurs calmes et lourdes, quand la terre, le ciel ou les hommes l'agacent et qu'alors, mal réveillée, elle sort de son lit du pied gauche, et inonde de sa colère sourde et de ses eaux larges les bourgs impuissants et fait alors un seul étang des prés de cent paysans enfin réconciliés.
La Sarthe des génies et des cons. La Sarthe des rouges et des blancs, la Sarthe des mystiques superbes et des supersticieux hébétés. La Sarthe qui, avec Lazare de Baillif et Pierre de Ronsard a inventé la littérature, n'en déplaise, tant pis, à Claude Simon ou à Marguerite Duras. La Sarthe des jeteurs de sort et la Sarthe de Descartes. La Sarthe du décalage du temps, de l'espace et des personnages. Décalage que Jean Distel, à travers son objectif à la Brassaï ou à la Tati, a tout à fait mis en lumière, décalage que Bernard Pouchèle a dit avec des mots d'avant et d'ailleurs. Un attelage en noir et blanc qui a su mettre un haut parleur dans les confessionnaux et un oeil insolent derrière les nuages.
Bernard Pouchèle, ancien marin, ancien instituteur, quitte les voies normales pour la marginalité et la route. Il sort du bitume par l'écriture en publiant L'Étoile et le Vagabond qui est devenu un classique du 'road movie'. Dans le même registre paraîtront Pouch et Les Péchés du vagabond. Puis c'est La Flamande. Ce livre obtiendra plusieurs prix littéraires. Puis suivront Samedi, l'évêque a raté le bus, Pas de garde-fou pour le Garde des Sceaux et Les Porcs de l'angoisse alliant, comme à l'accoutumée, la folie au baroque.
Photographe de l'instant d'abord, un instant journaliste, il a appris son art à travers son père, l'analyse du travail des grands anciens et l'amour du temps et des choses de la Sarthe. Homme de terroir à l'objectif tolérant, il a su trouver le décalagé vrai entre l'aujourd'hui et le hier qui n'est pourtant pas tout à fait le passé.